dijous, 12 d’agost del 2010

INTERVENTION JEAN-GUY TALAMONI GHJURNATE INTERNAZIUNALE 2010




Tout d’abord, je voudrais à mon tour remercier chaleureusement les délégations étrangères qui, cette année encore, nous ont fait l’honneur et le plaisir de venir travailler avec nous dans un esprit de solidarité et d’amitié.

Il nous faut également remercier les responsables des autres formations corses, politiques, syndicales ou associatives, qui ont participé à nos débats.

Enfin, nous adressons un salut fraternel à tous les prisonniers et à ceux qui, même libérés, se voient imposer des conditions inhumaines tel que l’exil, l’éloignement injustifiable de leur famille et de leur terre.

Les relations internationales

Dans les semaines et les mois à venir, Corsica Libera développera ses relations internationales à partir de deux cercles de solidarité, qu’il ne convient pas, bien entendu, de concevoir dans un ordre de priorité, mais bien de complémentarité : celui de la Méditerranéité et celui des résistances.

Le premier cercle de solidarité est celui de la Méditerranéité.

Comment, en effet, ne pas voir le déséquilibre terrible qui marque l’évolution européenne, et la prédominance pesante du Nord qui s’accentue au fil du temps. Déjà dénoncée il y a plusieurs décennies par Valéry, par Camus et tant d’autres, l’« Heure du Nord » semble avoir définitivement éclipsé la « Pensée de Midi ». L’Europe, qui doit tant, qui doit tout, à ce qui fut conçu il y a plus de deux millénaires sur nos rivages, semble désormais tourner le dos à notre façon de participer au monde. La Méditerranée, qui a pu être comparée à une « Machine à fabriquer de la civilisation », serait devenue, à en croire nos détracteurs, le lieu de toutes les dérives, de toutes les nonchalances, de toutes les insuffisances, face à la « rationalité » et à l’« efficacité » nordiques. Dans son arrogance effrénée, le Nord a annexé jusqu’à la raison, oubliant que c’est au Sud que naquit le logos… Entendons nous bien, il ne s’agit pas pour nous d’attiser les animosités ou de promouvoir un quelconque « nationalisme du soleil » mais de dire, simplement, que l’Europe a été fondée sur un équilibre entre le Sud et le Nord, et que celui-ci, aujourd’hui, n’est pas seulement menacé mais nié et réduit à néant.
D’autant qu’au moment même où ils jettent le discrédit sur nos valeurs, notre façon de vivre et notre mentalité collective, les mêmes s’emparent avec avidité de nos terres et de nos maisons. Les barbares du XXIe siècle ne déferlent pas sur la Méditerranée munis comme autrefois du fer et du feu comme seul argument, mais armés d’un moyen tout aussi déstructurant, tout aussi dévastateur pour nos sociétés méridionales : la puissance de l’argent. Des localités entières des Baléares parlent allemand, des hameaux provençaux parlent anglais. Quant à la Corse, la lutte nationale a permis de limiter quelque peu les dégâts jusqu’à présent. Mais à quel prix… Le problème n’est évidemment pas l’origine de ces nouveaux occupants, mais précisément qu’ils se comportent en occupants, le problème c’est la façon brutale, méprisante et injuste, qu’ils ont de s’imposer chez nous par leur puissance financière. À cette barbarie de « l’argent roi » qui dévaste nos cultures multimillénaires, nous devons opposer notre génie collectif, notre solidarité et notre détermination.
Pour nous Méditerranéens, il conviendra de faire l’impossible afin de reprendre la place qui est naturellement la nôtre, sur notre terre et dans le cours de l’histoire. Les démarches institutionnelles dites du « Processus de Barcelone », de l’« Union pour la Méditerranée », de l’« Arc latin », n’ont pour l’instant donné que des résultats insuffisants. Il faudra cependant y demeurer attentifs. Corsica Libera réaffirme également son engagement au sein de la « Conférence des Nations sans Etat de la Méditerranée » impulsée par nos amis catalans d’Estat Català et d’Esquerra Republicana.
La Corse, que l’un des principaux poètes et penseurs du Mare Nostrum a pu qualifier naguère de « Surméditerranée », la Corse, placée par la grâce des dieux au centre de cette incontournable région du monde, a certainement un rôle à jouer dans la réhabilitation et l’affirmation politique du bassin méditerranéen, berceau de la Civilisation européenne. Aux côtés d’autres peuples, dont certains sont représentés à ces Ghjurnate, nous tiendrons notre place.

Le second cercle de solidarité est celui des résistances.
Le mot de « résistance » doit ici être pris au sens que lui a notamment donné, il y a quelques années, le sous-Commandant Marcos lorsqu’il appela à la création de « foyers de résistance » à l’ordre voulu par les « Maîtres du monde », ceux qui entendent décider pour tous mais dans l’intérêt de quelques uns.
Résistance, bien évidemment, à l’ordre colonial français, ordre colonial qui n’est malheureusement pas de l’histoire ancienne : nos frères de Kanaky, de Polynésie, de la Caraïbe et d’ailleurs, peuvent en témoigner… La répression politique et syndicale frappe tous ceux qui refusent de voir perpétuer chez eux les schémas coloniaux… L’an dernier, avec nos amis du LKP, de l’USTKE et d’autres, nous avons commencé à donner un cadre structurel à notre solidarité, notamment sur le plan judiciaire à travers un collectif d’avocat. Cette solidarité s’est exercée, depuis, à l’occasion des procès contre les marins du STC, contre les militants de l’USTKE… S’agissant de la Corse, rappelons que ces derniers mois, le Président du syndicat agricole FDSEA a comparu plusieurs fois devant la justice française, et ce pour avoir dénoncé l’accaparement de nos terres par des intérêts étrangers. Dans quelques semaines, comparaîtront à nouveau les marins du « Paoli » qui, déjà condamnés par un tribunal correctionnel, ont refusé de laisser de surcroît prélever leur matériel ADN, estimant qu’un syndicaliste n’avait pas à être fiché comme un violeur ou un tueur en série. En ce qui concerne ces prélèvements ADN, Corsica Libera a engagé un bras de fer en demandant à ses militants de refuser de s’y soumettre, ce qui nous a valu déjà une quinzaine de procès qui se sont tous soldés par des relaxes, malgré l’acharnement du Parquet… Mais aujourd’hui, en France même, des voix s’élèvent pour contester cette pratique attentatoire aux droits de la personne humaine, et nous sommes fiers d’avoir ouvert le chemin à une juste contestation qui semble à présent s’étendre bien au-delà des côtes de la Corse. Dans les mois qui viennent, il sera nécessaire d’organiser ensemble la riposte à ces fichages ADN, question qui n’est pas seulement l’affaire des Corses.
D’une façon plus générale, Corsica Libera adresse son soutien à toutes les victimes d’une justice demeurée résolument coloniale. Corsica Libera réaffirme par ailleurs son plein engagement dans la démarche dite de la « Déclaration de Corti » des nations sans état sous tutelle française.
Mais notre solidarité ne s’exerce pas seulement à l’égard de ceux qui, comme nous, sont aux prises avec Paris. Cette année, nous avons le plaisir d’accueillir, parmi de nombreux invités, une délégation du Sinn Féin irlandais…
Après avoir mené une lutte exemplaire, dont la phase moderne a été initiée par l’insurrection de Pâques 1916, après les combats des années 1970, après le « Bloody Sunday », après les sacrifices de Long Kesh, après, également, les succès militaires de l’IRA, ce peuple, dont les poètes sont aussi des guerriers, trouvait enfin le difficile chemin de l’apaisement avec l’accord du Vendredi saint de 1998. Depuis, le nouveau défi est celui de la construction de la paix. Aux prix de multiples difficultés, les Irlandais tracent leur voie vers un avenir meilleur, pour eux, mais également pour les autres peuples. Ainsi, le Sinn Féin s’est grandement impliqué dans les tentatives de règlement de la question basque, apportant son expérience que l’on a pu qualifier d’« ingénierie de la paix ». Dans cette perspective, la présence du parti irlandais aux journées de Corti n’est pas anodine, au moment où la Corse cherche une issue à une crise si ancienne… Nous tenons ici à remercier chaleureusement le Sinn Féin, et en particulier Paul Flemming, pour leur contribution à nos débats.

La situation corse

La situation de notre pays est aujourd’hui très différente de celle qu’elle était lors des dernières Ghjurnate Internaziunale. Les dirigeants de la Collectivité Territoriale de Corse ne sont plus les mêmes, le PADDUC, plan de développement qui consistait à mettre la Corse en vente, a été définitivement abandonné. Quant au mouvement Corsica Libera, dont certains observateurs se sont hasardés à prédire un grave affaiblissement, il a démontré lors des élections de mars dernier qu’il portait les espoirs d’un grand nombre de Corses. Par ailleurs, le courant nationaliste dans son ensemble est devenu la principale force au sein du paysage politique.
Doit-on pour autant être rassuré ? Il n’est qu’à observer la situation dramatique de notre peuple, aux plans économique, social, culturel et moral, pour nous rendre compte de la gravité de la crise…
Il faut au plus tôt transformer le succès électoral de mars dernier en victoire politique, si l’on ne veut pas avoir eu raison trop tard… Chaque jour, notre langue recule, avec les valeurs qu’elle porte en elle, chaque jour de nouveaux Corses s’enfoncent dans la précarité, chaque jour, des parcelles de la terre corse passent en des mains étrangères, chaque jour, la mission que nous nous sommes assignés devient plus difficile à réaliser : sauver notre peuple d’une disparition certaine et tracer la voie d’un renouveau, celui de l’indépendance nationale.
Certes, davantage de Corses en sont conscient qu’il y a quelques années. Certes, beaucoup ont voté nationaliste en mars dernier pour la première fois de leur vie. Certes, nos idées sont de mieux en mieux accueillies par nos compatriotes… Mais il faut aujourd’hui rassembler les énergies de tous les Corses qui attachent de l’importance à l’existence de leur peuple. Il est temps de mettre de côté les querelles entre ceux qui furent qualifiés de « clanistes » et ce que l’on désigna sous le vocable de « séparatistes ». Devant la situation que nous rencontrons et l’incertitude que nous avons sur la pérennité de la communauté corse en Corse, l’heure est à la réconciliation de cette communauté avec elle-même, l’heure est à l’union de tous les Corses qui veulent le demeurer - quel que soit leur préférence politique -, l’heure est à l’édification d’un nécessaire compromis historique, et ce sans la moindre compromission, l’heure est la mise en synergie des forces nationales, l’heure est à la création d’un front commun, l’heure est à la constitution di u partitu di a Corsica.
Plus que jamais, ce compromis conduisant à une sortie de crise semble à portée de main : les revendications qui sont les nôtres semblent désormais largement partagées, y compris au sein de la classe politique dite « traditionnelle » :
Sur la question du foncier, des Assises se tiendront dès septembre, à la demande de Corsica Libera. Nous défendrons à cette occasion notre proposition de citoyenneté fondée sur 10 ans de résidence, seule solution praticable s’il on veut arrêter la hausse des prix de l’immobilier, qui est également une position particulièrement ouverte et généreuse.
Sur la question de la langue corse, nous avons bien enregistré la déclaration du Conseiller exécutif en charge du dossier, qui s’est dit favorable à la co-officialité.
Concernant le problème des prisonniers, nous avons bien entendu la réponse de Monsieur Giacobbi à notre interpellation et son accord - total - affirmé publiquement à l’égard de nos positions.
Sur ces trois questions primordiales, si l’on sent bien des frémissements favorables à nos demandes, il faudra à présent passer rapidement des paroles aux actes, da u dì à u fà.
Pour notre part, nous sommes prêts à participer avec loyauté au débat sur l’avenir de la Corse, qui devra nécessairement être ouvert dans les mois à venir, ne serait-ce qu’en raison de la réforme institutionnelle projetée par Paris et sur laquelle l’Assemblée de Corse est appelée à se prononcer.
Nous sommes prêts à y participer avec la légitimité que nous ont conférée les urnes, mais également avec celle que nous a donnée un combat de plusieurs décennies et les nombreux sacrifices consentis pour que vive le peuple corse.
Nous sommes prêts à travailler, loyalement, avec tous les représentants de la société corse, en particulier sur les trois points que nous venons d’évoquer et qui nous apparaissent comme les conditions sine qua non de l’apaisement : règlement de la question foncière, officialisation de la langue, prise en compte des prisonniers.
Nous le disons avec solennité : si du débat à venir naissait un accord sur ces questions, un pacte susceptible de donner à notre peuple des garanties quant à son avenir comme communauté vivante et originale sur sa terre, alors nous pèserions de tout notre poids pour que la crise soit derrière nous et que s’ouvre une ère de paix, de construction et de prospérité.

Nous avons, aujourd’hui plus qu’hier encore, « l’optimisme de la volonté » et la conviction au plus profond de nous-mêmes que nous allons connaître un avenir serein et digne, dans une Corse qui aura enfin accédé au bien-être – moral, mais également matériel – que ses richesses lui promettent, une Corse entrée de plain-pied dans la modernité sans toutefois renoncer à ce qu’elle est : non pas une simple circonscription administrative française - ce qu’elle n’a d’ailleurs jamais été -, mais un pays, une nation, avec tout ce que le mot recèle aux plans politique, matériel, culturel et moral. Si notre foi demeure intacte, malgré les années et les épreuves, c’est parce que notre idée de la Corse, di a Corsica eterna, est ce pont spirituel, ininterrompu, entre les générations passées, celles d’aujourd’hui et celles à venir... Voilà ce dont Corsica Libera est porteuse, voilà pourquoi tant de Corses continuent et continueront à nous faire confiance, démentant les sondages et les prévisions des milieux dits « autorisés ». Si ces milliers de Corses nous soutiennent, c’est bien parce que, au cœur même de la nuit, nous étions cette voix qui leur parlait inlassablement de dignité. Si dans chaque quartier, dans chaque village de Corse, les militants de Corsica Libera sont écoutés, c’est parce que leur parole est claire et que leur geste est ferme. Fidélité, constance, clarté, détermination, a fede, l’amore di una terra : voilà donc, en quelques mots, la clef des succès passés et des victoires à venir. Des victoires, non pas au bénéfice d’une formation politique, mais au profit de l’ensemble de notre peuple.
Eccu, in poche parole perchè avemu da vince.

Evviva a nazione !
Evviva a Corsica Libera !